Voyager en France | Bastien Delesalle
Bastien Delesalle

Voyager en France

Sans domicile fixe

Pour le premier article de mon site internet, quoi de mieux que de parler de mon pays et de ma condition de nomade ? En quête de soleil et de chaleur avant l’arrivée de l’hiver, je me dirige vers l’Espagne. J’ai la chance, alors que l’été fut très pluvieux, que cet hiver 2014 tarde à arriver et on pourrait presque parler « d’automne indien », l’été semblant se prolonger à l’infini.
Il n’était pas rare au mois de novembre de devoir continuer à rouler en short … C’est un sacré avantage pour moi, naturellement parce qu’il est plus agréable de rouler sous le soleil et au sec, qui plus est sans atteindre des températures excessivement chaudes, mais surtout parce que cela évite d’avoir à enfiler poncho et autres vêtements de pluie, de se retrouver inondé et alors faire peur aux gens avec une allure crasseuse et dégoulinante …

Malgré cela, je découvre avec stupéfaction que passer l’hiver sur les routes de son propre pays a un inconvénient majeur que j’avais négligé jusqu’ici.
Alors que l’été, les gens ne sont pas surpris de rencontrer des voyageurs, sûrement car c’est la période des congés payés, il leur paraît plus anormal de retrouver un français en train de voyager en hiver dans son propre pays.

Voici une discussion type à laquelle je me suis retrouvé quotidiennement confronté durant ma traversée Nord / Sud hivernale de la France:

« - Bonjour Monsieur, excusez-moi de vous déranger, je voulais simplement vous demander s’il était possible d’avoir un peu d’eau s’il-vous-plait. Pourriez-vous me remplir mon bidon ?

Instant d’hésitation, on me jauge de la tête aux pieds en passant par toutes les sacoches de mon vélo … et la personne répond:

- Mais vous êtes … (hésitant, cherchant ses mots) … SDF ?
– Eh bien, tout dépend de quel point de vue on se place. Si on s’en tient à la définition, oui je suis Sans Domicile Fixe, mais le ton de votre voix me laisse entendre que le mot SDF semble plutôt péjoratif pour vous, je dirai alors plutôt que je voyage, je suis nomade …
– Ah … mais euh, vous cherchez du travail dans la région ?
– Non non je voyage, je vais à la rencontre des gens …
– Ah … vous touchez le RSA alors, ou le chômage, ou l’aide aux handicapés peut-être …
– J’ai eu des droits de chômage en effet à un moment mais là non je ne touche plus rien. Vous savez, par principe (certains pensent que je suis trop bête d’ailleurs), lorsque je voyage et que je quitte la France, j’estime que ce n’est pas les impôts des autres qui doivent payer mes voyages … vous savez, dormir sous ma tente, sans voiture, sans écran, … , avec un peu de débrouillardise et pas mal de courage, ça ne coûte pas vraiment grand chose de Vivre …
– Ah … (silence)
– Je peux avoir de l’eau ?
- Ah oui … (et la porte se claque, parfois refermée à double tour de clé …)

La porte s’ouvre de nouveau et on me tend rapidement mon bidon sans un mot:
– Merci beaucoup. Bonne journée. 

Je repars alors doucement en tentant de ne pas affoler les chiens qui me hurlent dessus, et en tournant la tête, j’aperçois la personne m’observant cachée derrière son rideau …

Un jour, un homme ayant eu confiance en moi et en mon regard me laisse planter la tente dans son jardin. Au petit déjeuner le lendemain, il me raconte qu’une fois, une jeune cycliste cherchant à remplir sa gourde, la vidait après chaque discussion, et allait frapper à une autre porte pour observer l’intérieur de chaque maison. A la fin de son petit tour de quartier, qu’elle imaginait sans doute éventuellement cambrioler ensuite, elle se faisait récupérer par une voiture …

Je reprends la route au fil de l’eau … Jacques Sirat, un grand nomade, a travaillé à la Poste de Moissac. Je m’en rapproche par le canal latéral de la Garonne. Une de ses anciennes collègues y pêche avec son mari. Elle reconnaît directement le vélo surchargé caractéristique du nomade … La discussion s’engage, et je lui raconte la réaction des gens depuis mon départ du Nord de la France, elle me lance:

« Nul n’est prophète en son pays »

Les touristes du Monde entier affluent avec une vision romantique de la France …
Les populations africaines, elles, à la recherche du « Bonheur », fuyant principalement chômage et pauvreté, continuent de croire au rêve et au mirage de l’Eldorado Occidental.

Les Français eux, connaissent bien les problématiques de leur pays et sont bien conscients de l’émergence toujours grandissante d’une population alternative de la rue.
Dans les grandes villes, ils y sont confrontés au quotidien, et stigmatisent à tort le SDF comme une personne ivre, faisant la manche à la sortie des supermarchés ou aux feux rouges … des déchets de la société.
Dans leurs questions, ils me renvoient en pleine face la vision de ce qu’ils pensent de la « vermine alcoolique » qui jonche leurs rues. Ils s’en méfient comme de la peste … Ils n’ont qu’une seule image du SDF. Et pourtant, le long des Routes, à l’extérieur des grandes agglomérations, en campagne ou dans les villes de taille plus modeste, il y en a d’autres, vers qui j’aime aller, qui, tentant de ne pas effrayer le Monde qu’ils côtoient, sont propres sur eux, se déplacent de lieu d’accueil en lieu d’accueil à la recherche de quelques boulots sous-payés, de quelques denrées qui pourraient leur remplir l’estomac, ou d’une douche réconfortante … et il ne s’agit en fait que de personnes comme vous et moi qui n’ont pas eu notre chance …

Un SDF vêtu d’un blouson en cuir, avec un sac à dos de randonnée en parfait état m’interpelle au loin me regardant passer intrigué. Bien coiffé, bien habillé, il était là dans un parc public sur un banc en train de fumer une cigarette, d’écouter la radio en attendant son bus qui devait l’emmener sur les lieux où il avait rendez-vous pour passer la nuit. Ancien chef d’entreprise, il avait tout perdu et vivait dans la rue depuis 10 ans … Bien connu des services de police pour son calme et sa gentillesse, lorsque les forces de l’ordre arrivaient quelque part, appelés par un voisin apeuré par sa présence, les policiers repartaient directement en lui adressant quelques mots sympathiques. Connaissant bien la région, il me donna quelques adresses où je pourrais me faire loger sans trop de difficultés … et c’est ainsi que j’atterris à l’Abbaye de la Trappe de Soligny, où les moines m’ont accueilli sans jugement.
Là, j’y rencontrai un autre SDF de passage, surexcité de nature, il ne tient pas en place et me raconte de manière saccadée son épopée du mois, de la Bretagne à l’Ardèche, où il compte se rendre … mis à la porte par son père 25 ans plus tôt, il n’a connu que la rue depuis l’âge de 20 ans et sa famille n’a jamais plus voulu entendre parler de lui … le sujet le chagrine et il préfère couper court à la discussion, une larme à l’oeil. Après un énorme repas offert par les Moines, il préfère aller dormir sous un abri derrière le bâtiment dans lequel nous avons un lit, car insomniaque et tellement habitué à écouter sa radio toute la nuit, il préfère dormir dehors plutôt que de m’empêcher de dormir … je ne réussirai jamais à le faire dormir au chaud dans le lit qu’on lui offre … Ce soir-là, à la radio après quelques airs de jazz manouche, nous apprendrons ensemble que Roger Federer, le tennisman Suisse a enfin gagné le seul trophée qui manquait à son palmarès …

Il y en a beaucoup d’autres qui arpentent les rues et les sentiers de notre pays, mais un dernier a particulièrement marqué mon esprit … que je n’ai pu aborder.
De La Flèche à Baugé en Anjou, une voie de chemin de fer reconvertie en voie verte, comme il en existe de plus en plus désormais en France et en Belgique, m’emmène dans les bois. Sans aucun véhicule à moteur sur une ligne droite de 20 kilomètres, c’est le paradis. J’aperçois, caché en contre bas dans les bois, une tente …
Je m’arrête et j’appelle de loin la personne qui pourrait se trouver à l’intérieur … ça bouge, les 4 chiens m’ont depuis longtemps repéré et aboient très fort.
Une tête sort de la tente, jette un rapide coup d’oeil dans ma direction et fait taire les chiens avec insistance … J’agite les bras pour lui montrer mon intérêt pacifique, les chiens repartent de plus belle dans un vacarme ahurissant … les minutes s’égrainent et il ne semble pas vouloir me répondre … il se terre dans sa tente tout en faisant taire ses chiens qui sont excités comme des fous … J’abandonne car je sens que la situation ne se débloquera pas et que je le gêne.
J’en conclus que par réflexe, de peur de se faire agresser verbalement, de se sentir humilié sous le regard d’un autre, ou de se faire expulser de sa cachette de fortune, il préfère se terrer … c’est le Monde à l’envers. Pourquoi les individus ont-ils tous autant peur les uns des autres ?

J’ai appris en faisant de l’auto-stop dans leur pays, que les Espagnols ne sont pas non plus le peuple le plus farouche du Monde quand il s’agit de rencontrer un inconnu. Mais, j’ai la sensation, alors qu’il ne me reste plus qu’à descendre le canal du Midi pour arriver en Espagne, que je vais passer de SDF à voyageur en traversant la frontière … c’est un peu comme, lorsque j’atterrissais par hasard sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle comme il m’est arrivé parfois, je passais du statut de voyageur à celui de pèlerin …

 

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