Bastien Delesalle
Bastien Delesalle

Evolution vélo

Pour apprendre quoique ce soit, commencer par y trouver du sens.
Mai 2013 – KM 0

Les aléas de la vie m’ont amené à reprendre la Route avec un vélo destiné à la poubelle auquel j’ai offert une seconde chance (et réciproquement). N’utilisant pas internet à l’époque, et n’ayant jamais rencontré de voyageur à vélo, j’avais l’impression d’inventer une discipline. Il va de soi que je n’avais pas conscience de l’existence du matériel spécifique destiné à la pratique du cyclo-tourisme tel que les cadres Surly LHT Long Haul Trucker, les sacoches étanches Ortlieb, les porte-bagages Tubus, les pneus Marathon Schwalbe, ou encore les plébiscitées selles Brooks. J’ai commencé à pédaler sans aucune connaissance de l’ensemble de cet univers et avec encore moins de compétence en terme de mécanique. Pourtant, quelques années plus tard, plus aucune vis de mon vélo n’a de secret pour moi.

Ne pouvant plus marcher et pressé de repartir après un voyage en auto-stop désastreux, j’avais appris à souder en moins d’une semaine afin de me fabriquer un porte-bagage où poser mon sac de randonnée. Je pris ainsi la Route pour la première fois à vélo, lequel était de piètre qualité et dont je ne connaissais rien. Je ne savais pas encore que cet engin à deux roues en piteux état allait pourtant me mener loin, très loin.

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Dues à mon manque de connaissance technique et mon incapacité à prendre soin de ce vélo déjà très vieux, les premiers mois, les péripéties mécaniques furent nombreuses. Les petits comme les plus gros ennuis n’ont cessé de s’enchaîner et ma première chevauchée de près de 5000 km à travers le Nord de l’Europe fut épique. Mon vélo se désintégrait littéralement au fil des kilomètres et des dos d’âne que je prenais à toute vitesse en descente juste parce que c’était grisant. En commettant des erreurs, je prenais mes premières leçons, d’autant que je faisais aussi le choix de toujours réparer par moi-même, quitte à faire pire que mieux, pour apprendre.

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Au départ, le câble électrique a souvent été mon allié, inspiré par les aventures d’Ernesto Che Guevara dont certains passages de son carnet « Voyage à motocyclette » résonnaient encore dans ma tête :

La moto marchait avec parcimonie, laissant sentir l’effort exigé d’elle, surtout la carrosserie, qu’il fallait à tout moment retoucher avec la pièce de rechange préférée d’Alberto : le fil de fer. Je ne savais pas d’où il avait extrait cette phrase qu’il attribuait à Oscar Gálvez : « Partout où le fil de fer peut remplacer une vis, je préfère, c’est plus sûr ».

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Décembre 2014 – KM 4500

La multitude de soucis rencontrés ne m’a pas découragé pour autant, au contraire, ils faisaient partie intégrante de l’aventure et de mon apprentissage. Mais pour vivre mon voyage un peu plus sereinement et l’apprécier à sa juste valeur, décidé de continuer à pédaler, le besoin de me fabriquer un vélo plus solide s’est rapidement fait ressentir. Reprenant les choses à zéro, je me construisis de nouveaux porte-bagages, décapai et repeignis mon cadre, et plus tard, lassé de sangler de vieux sacs à dos un peu partout sur le vélo, je me fabriquai de vraies sacoches étanches et indestructibles à partir de bidons recyclés, que j’appelle communément mes « sacoches africaines ».

Il n’y a pas besoin d’être ingénieur pour être ingénieux.

peinture cadre

fabrication sacoche bidon

L’idée des sacoches bidons a d’ailleurs fait des petits, et en chemin, certains s’en sont inspiré, voire l’ont amélioré : les sacoches du Caméléon

 

Côté transmission, aidé un peu d’internet cette fois-ci, j’investis dans des éléments de qualité à tarif raisonnable pour me monter un vélo fiable en toute circonstance capable d’enchaîner des dizaines de milliers de kilomètres. Mon pédalier et mes dérailleurs ont fait leurs preuves, je roule toujours en 2020 après plus de 55.000 km avec ceux que j’avais achetés à ce moment là. Pourtant, je ne ménage pas ma monture et lui demande beaucoup en pédalant parfois dans des conditions très rudes. Mon vélo souffre tout autant que moi si ce n’est plus.

 

Ma transmission préférée :

→ Pédalier Shimano Deore 22-32-42 Manivelle 170 mm (FC-T611)
→ Boîtier de pédalier Hollowtech II (SM-BB51/SM-BB70)
→ Dérailleur Avant XT Down Swing (Dual Pull) 3×9 vitesses (FD-M772/M773)
→ Dérailleur Arrière XT 8/9 vitesses version longue (RD-M771)
→ Cassette Shimano LX 9V 11-34 (CS-HG80) ou Alivio 9V 12-36 (CS-HG400)
→ Chaîne 9 vitesses SRAM PC 971 ou KMC X9.73

 

Ma monture commençait à ressembler à une « vraie » randonneuse et seuls les kilomètres engloutis et les problèmes préalablement rencontrés m’avaient permis de comprendre quelles parties du vélo sont importantes pour pédaler en toute sérénité. Pourtant, au même moment, je commis une des plus grosses erreurs de débutant possible, celle de me surcharger par peur du froid car j’entrais doucement dans l’hiver.

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Avec une mécanique désormais fiable, mes porte-bagages pas encore parfaitement au point sont devenus les points faibles de mon nouveau vélo. Pour les réparer et les améliorer, j’ai souvent dû faire appel à la population locale et au poste à souder. Ainsi, en rencontrant des problèmes parfois complexes à résoudre, des casses importantes, souvent au milieu de nulle part, j’ai augmenté mon expérience et ma confiance en moi de manière significative. Lentement, je devenais capable de me sortir de toutes les situations, sans stress particulier, avec plaisir même, prenant les gros ennuis comme un jeu, un énième challenge à relever afin de repousser toujours plus loin mes limites, ma nécessité à être inventif, ma capacité d’adaptation, ma résilience en somme.

Il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions.

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Novembre 2015 – KM 14070

Fatigué que mes porte-bagages rompent toujours aux mêmes endroits, je me suis exercé pour améliorer ma technique de soudure, et j’ai fini par aboutir sur deux nouveaux prototypes indestructibles et parfaitement adaptés à mes besoins, lesquels n’ont plus jamais plus cassé. Jamais. Au fil du temps, je n’avais pas seulement appris à connaître mon vélo, mais aussi à me connaître moi et à croire en mes capacités.

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La confiance en moi que j’avais accumulée me permettait de me lancer de nouveaux défis, de m’enfoncer dans des zones de plus en plus reculées, sur des terrains de plus en plus rudes pour la mécanique. Les petits pépins pouvaient alors vite se transformer en de très gros problèmes, et pour m’en sortir je devais faire preuve de calme, de patience, et sans doute avoir un peu de chance. La matière s’altérant inévitablement, la mécanique mise à rude épreuve commençait à montrer des signes de fatigue au fil des dizaines de milliers de kilomètres et je faisais face à de nouvelles situations que je n’avais pas vraiment imaginées. Cela me prouvait que j’avais encore beaucoup à apprendre et tant mieux.

Juillet 2016 – KM 18183

J’avais atteint les fjords de l’ouest norvégien, et les pentes raides ainsi que la pluie constante m’exténuaient. Pourtant, je m’engageai volontairement dans une aventure extraordinaire, mais je ne le savais pas encore. Après plusieurs jours de pédalage sur une piste en grosses pierres interdite aux véhicules à moteur, au milieu des montagnes enneigées en plein été, loin de toute civilisation, je plantai la tente face à trois glaciers où je restai pendant cinq jours en totale autonomie jusqu’à ce que mes vivres diminuent au point de m’obliger à quitter mon immersion totale au sein de la majestueuse Mère Nature. C’est à ce moment là que je découvris que ma jante arrière s’était fissurée en douze points dans la montée. C’était un problème grave car je devais encore redescendre par une piste d’une rudesse encore plus extrême que celle qui m’avait amené jusque là. Je n’avais pourtant pas d’autre option que de reprendre la route en croisant les doigts et en prenant mille précautions pour que ma roue arrive entière dans la vallée où je retrouverai l’asphalte qui m’emmènera vers la ville la plus proche à une centaine de kilomètres où j’espérais trouver un magasin de vélo qui n’existait pas. Je passai trois semaines dans cette bourgade à travailler pour financer ma nouvelle roue que je cherchais en vain avant de reprendre la route dépité avec ma jante toujours fissurée et une roue de secours gratuite très très bas de gamme qui traînait depuis trop longtemps dans le garage de mon patron. Je la transportai sur mon porte-bagage avant. Je pédalai finalement 3000 km supplémentaires avec cette roue fissurée jusqu’à ce que j’en trouve une nouvelle qui convienne à mes critères.

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Preikestolen

 

Mes roues préférées :

Roues montées à la main chez AlpinWheels
Jantes Rigida Big Bull 36 trous (éventuellement 32 trous)
Rayons Sapim Strong 2,3 Double Butted croisement par 3
Moyeux avant et arrière LX + Corps de cassette 8/9 vitesses

 

Mes pneus préférés :

AVANT : Schwalbe Marathon PLUS TOUR Tringle Rigide 26×1,75
ARRIERE : Schwalbe Marathon PLUS Tringle Rigide 26×1,75

 

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Pour pouvoir faire face à un maximum de problèmes de manière autonome, en plus de porter les pièces d’usure les plus essentielles (chaîne de rechange, chambre à air, rustines, patins de frein, câbles de frein et de dérailleurs, visserie diverse, etc ….), je me suis confectionné une trousse à outils complète capable de démonter entièrement le vélo ou presque. C’est indispensable, surtout dans les aventures engagées et les zones reculées. Grâce à cela et souvent un peu d’inventivité, j’ai quasiment toujours réussi à réparer sur la route par moi-même.

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C’est aussi grâce à cette trousse à outils relativement complète que j’ai pu prévenir les problèmes. En effet, il ne m’a pas fallu attendre des dizaines de milliers de kilomètres pour comprendre une chose essentielle : prendre soin et entretenir son vélo régulièrement est primordial pour éviter et anticiper les ennuis. Observer, vérifier, nettoyer, toucher, et écouter le moindre bruit suspect de son vélo, dont on finit par en connaître le son par coeur, font partie intégrante du quotidien du cyclo-voyageur et procrastiner en remettant au lendemain une réparation une des pires erreurs à commettre. Je porte une attention quasi permanente à mon vélo car sans lui, je n’irai pas bien loin.

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Cette attention particulière m’a permis au fil des années de raréfier les problèmes mécaniques, et pour réduire encore ce risque, ainsi que pour augmenter la durée de vie des pièces de mon vélo, je réalise une « journée méca » tous les 1000 km, qui consiste à : démonter, vérifier, nettoyer, regraisser si nécessaire et remonter la totalité de ma transmission. Pour ce faire, car cela demande de la concentration, je choisis un endroit calme où je pense ne pas être (trop) dérangé. Ces journées dédiées à la mécanique qui duraient au départ du matin au soir sans manger, ne me prennent désormais plus que quelques heures, profitant du reste de la journée pour me détendre.

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Août 2017 – KM 32774

Le fait d’avoir moins de soucis mécaniques à gérer me laissait plus de temps pour me concentrer sur autre chose : m’alléger. Je partais de loin, mais au fil des années, à mon rythme, puis soudainement bien aidé par la vision MUL de mon meilleur ami, mon vélo perdait du poids. Malgré tout, fort d’une philosophie profonde de recyclage et de fabrication de mon matériel au maximum, je ne serai jamais aussi léger qu’un Bikepacker.

Je porte le poids de mes convictions.

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Avril 2018 – KM 36178

Cherchant depuis très longtemps à utiliser l’espace intérieur de mon cadre de manière plus rentable qu’en y stockant 3 litres d’eau, le Bikepacking que je découvrais après cinq années de vélo déjà m’inspira la solution. Le vieux canapé en cuir destiné à la poubelle que je trouvai dans la rue encore plus. Après 50 heures de couture qui me trouèrent les doigts, ma sacoche de cadre d’un volume de 6 litres était née, parfaite à mes yeux.

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Cette petite évolution amena une grande révolution, comme un détail résolu qui depuis longtemps m’empêchait d’avancer. Mes sacoches africaines passèrent à l’arrière, et dans la foulée, je me séparai d’une paire de sacoches en tissu Basil trop souvent recousues. L’organisation de mon vélo changea du tout au tout du jour au lendemain, et mon allègement s’en fit clairement ressentir. J’avais l’impression de fendre l’air.

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Mai 2018 – KM 37551

Fendre l’air. Je ne croyais pas si bien dire. En recherche d’amélioration constante, j’avais pour objectif de supprimer mon porte-bagage avant. Je l’offris à une cycliste qui en avait plus besoin que moi et au beau milieu de la Finlande, me retrouvai avec la totalité de mon équipement chargé sur l’arrière. Erreur fatale. Ce fut un désastre. Quelques heures plus tard, dans une descente sur une piste caillouteuse, je perdis le contrôle de ma direction par manque d’habitude de rouler sans poids sur la roue avant. En passant au-dessus de mon vélo, j’atterris le nez dans la poussière. Le choc avait été violent, mon bras ensanglanté avait tout encaissé. Mes 20 années de pratique du judo m’avaient sauvé la mise. J’étais entier. Je bondis sur mes jambes sans réfléchir pour vérifier mon vélo, lui aussi était indemne. Mon voyage aurait pu s’arrêter là.

 

Mes freins préférés :

→ Poignée de freins Alu AVID
→ Etriers Shimano LX
→ Patins de frein standard

 

Je rejoignis en quelques jours une toute petite ville avec la suspicion d’un pouce cassé qui m’empêchait de passer mes vitesses. Sans attendre, je me rendis dans l’unique magasin de sport où se procurer du matériel de vélo et négociai pour une somme dérisoire un vieux porte-bagage arrière en aluminium d’occasion que j’adaptai à l’avant de ma monture à l’aide de quelques boulons, d’une sangle de camion, de colsons et de scotch Duck Tape : une installation provisoire, pensais-je, qui, plusieurs dizaines de milliers de kilomètres plus loin tenait encore la route.

Chute finlande

Cette mésaventure ne m’a pas fait abdiquer pour autant, j’avais perdu la bataille mais pas la guerre. La chance me sourit cette fois. En six années de vélo sur le continent européen, je n’avais jamais vu ce que j’aperçus dans le fossé, ce petit bidon bleu parfaitement assorti à mes sacoches arrières. Je savais déjà ce qu’il allait devenir : une sacoche guidon. Je refusais depuis longtemps d’installer une telle sacoche sur mon cintre, pensant que c’était le meilleur moyen de signaler aux voleurs où se trouvaient les objets de valeur, mais savoir que je pouvais la fabriquer et non l’acheter m’ouvrait de nouvelles perspectives. Ni une ni deux je conçu mon propre système KlickFix et le tour était joué.

Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis.

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Pour libérer totalement mon porte-bagage avant, qui commençait à montrer de gros signes de casse imminente, il ne me restait plus qu’à fabriquer quelques sangles afin d’attacher mes sacs étanches contenant mes vêtements de chaque côté de ma fourche. Je les installai pour un premier essai, et le porte-bagage, comme un signe du destin, choisit de rompre ce même jour. Mon instinct de voyageur l’avait senti venir. Il ne me restait plus qu’à rejoindre l’Islande, mais le confinement Covid-19 de 2020 m’y retarda, m’offrant tout le temps nécessaire de continuer à travailler sur mon vélo qui, pendant les 7 ans qu’aura duré mon interminable tour d’Europe, aura été un chantier permanent.

Pour être simple, il faut apprendre beaucoup.

 

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