Le Cabo de Gata | Bastien Delesalle
Bastien Delesalle

Le Cabo de Gata

Palmier nuit

Après un mois difficile seul à affronter les éléments climatiques et à franchir une à une les montagnes du Nord au Sud, c’est heureux et avec soulagement que j’arrive enfin après une ultime difficile mais magnifique ascension entre Lucainena de las Torres et Nijar à mon premier rendez-vous HelpX. Ce réseau d’entraide est désormais aussi populaire que le Woofing, et j’ai été surpris de découvrir à quel point il était compliqué d’obtenir une place chez l’habitant tant la concurrence entre les prétendants est importante. Nombreux sont ceux qui utilisent ce réseau HelpX pour voyager à l’étranger ou au sein de leur propre pays, à la recherche d’échanges et d’expériences, ou plus simplement pour trouver un lit et des repas gratuits. Certaines personnes passent leur temps à sauter de maison en maison, une façon de vivre presque gratuitement en échange de quelques heures de travail par jour. Je m’attendais à n’y rencontrer que de jeunes voyageurs, mais je suis surpris de découvrir des personnes de toutes les générations. Les raisons qui les motivent sont multiples, et les histoires de tout horizon.
Malheureusement, ma joie n’est que de courte durée puisqu’après seulement quatre jours, je suis prié de quitter les lieux pour raison d’incompatibilité de caractère, et de manière de vivre et de penser …

Je repars profondément déçu d’avoir déçu mes hôtes, mais les 30 kilomètres qui me séparent de Nijar au Cabo de Gata sont un vrai soulagement. Le bruit des roues sur l’asphalte et le vent sur mon visage évacuent toute la tension accumulée en si peu de temps. Je me sens de nouveau libre et heureux.
J’arrive malgré tout au Cabo de Gata avec amertume, un sentiment de tristesse et d’échec m’emplissant. Pour une reprise du travail depuis l’Australie il y a déjà quelques années, c’est un échec cuisant. Je m’interroge sur ma capacité à me réintégrer à la société, à ma capacité à vivre en communauté. Suis-je si peu social que cela ?

Depuis maintenant deux ans et ma première visite en Espagne, on ne cesse de me vendre le Cabo de Gata comme une carte postale, un lieu magnifique à ne surtout pas râter. J’ai peur de ne pas apprécier cet endroit à sa juste valeur à cause de ma tristesse passagère, d’autant que pour m’y rendre, il a fallu que je traverse 30 kilomètres de la “Mer de Plastique”. C’est le surnom donné à la région d’Alméria où l’on cultive entre autres des tomates sous serres à très grande échelle, celle-la même que l’on retrouve dans tous les supermarchés d’Europe au goût insipide. Du haut de la montagne, la vision est effroyable, la Terre semble s’être transformée en une marée blanche. Le pétrole ici a un tout autre aspect que lorsqu’un cargo s’échoue sur les rivages de nos plages. Les arbres ont des allures d’épouvantail, eux aussi totalement recouvert de plastiques, le vent les emmènant dans toutes les directions.

Pour tenter d’évacuer la pression, je m’installe sur la plage près du petit port de pêche. Je me promène ensuite le long de quelques restaurants de la ville tout en observant les locaux jouer au Beach Tennis. Curieux, je m’approche et s’en suit une longue discussion sur l’entraide avec Pablo, un jeune papa espagnol voyageant occasionnellement lui aussi à vélo dans son pays. Tout naturellement, la nuit approchant, il m’emmène à l’écart de la petite ville pour me montrer une palmeraie où je pourrais bivouaquer. J’y établierai ma chambre à coucher à toit ouvert pour une semaine à la belle étoile dans cet environnement idyllique donnant lieu à la contemplation d’un coucher de soleil différent tous les soirs. Je reprends espoir.

Le lendemain, après quelques kilomètres de vélo entre les salines et la plage, je reviens effectuer quelques réparations sur le vélo sur la promenade. C’est là qu’apparaissent deux anges, Maria et Niels, un couple de néerlandais de mon âge qui m’inviteront dans un premier temps à partager leur banc intrigués par mon vélo, puis une longue discussion jusqu’au bout de la nuit dans leur van. Cette rencontre m’est salvatrice, plus que de me faire oublier ma tristesse, elle me comblera de plaisir et du bonheur de l’échange en ce jour anniversaire de mon accident de voiture il y a 3 ans. Je suis décidemment bien mieux sur cette plage à refaire le Monde qu’au travail à fabriquer du ciment pour rénover une vieille bâtisse …
Ensemble, nous déambulerons nonchalamment dans les environs pendant quelques jours, partageant quelques repas mais surtout beaucoup d’idées et de discussions sur le Monde dans lequel nous vivons. Notre thème favori, de manière récurrente, est ce besoin insatiable de liberté. La famille est un autre thème que nous abordons sous bien des aspects.

Lorsque l’envie de pédaler, c’est un bon signe, me reprend enfin, je pars explorer plus profondément le Parc Naturel du Cabo de Gata alors que jusqu’à présent je n’étais resté que dans la ville du même nom.
Une première ascension à 10% de pente m’emmène jusqu’au phare qui me déçoit. Un ouvrier en train de grignoter la montagne à grands coups d’un marteau piqueur surdimensionné afin d’élargir la route m’interpelle et notre court échange me décide à pousser plus loin mon exploration. Je me dirige là où les voitures ne peuvent s’aventurer pour me rendre de l’autre côté de la Sierra de Gata vers le village de Sant José. Seulement, avant d’arriver sur la piste caillouteuse surplombant les formations volcaniques sur lesquelles les vagues viennent se fracasser, il me faut franchir une ultime difficulté, et pas des moindres, une côte d’un kilomètre à 22% d’inclinaison. A l’abordage !!!

Au pied de cette montée, alors que la pente n’est pas encore à son maximum, la providence a choisi de mettre sur ma route deux nouveaux anges. Une voiture me dépasse, s’arrête, fait marche arrière, stoppe à ma hauteur, et le conducteur m’aborde dans un espagmol que je ne comprends pas aux premiers abords, déjà dégoulinant de transpiration alors que l’ascension ne fait que commencer. Sans le savoir encore, je venais de rencontrer ceux qui allaient m’offrir ma seconde nuit d’hospitalité chez l’habitant après deux mois complets de bivouac solitaire. Ils reprennent doucement ce qu’ils ont tenté de m’expliquer auparavant, et me proposent d’emmener tout mon équipement dans le coffre de leur voiture afin que je monte cette côte vélo à vide. Finalement, sans chargement, elle n’avait rien de redoutable.
Une fois en haut, après avoir repris mon souffle, je les retrouve dans un échange de grands sourires et d’accolades, suivi d’une bière et d’un panorama des plus rafraîchissants …
Dans la discussion, le rendez-vous était pris, j’allais les retrouver deux jours plus tard à l’ouest d’Alméria, où de nouveau, vélo à vide, dans la pénombre, j’allais réaliser une ascension beaucoup plus longue et difficile que celle que je venais de réaliser. Ils m’avoueront plus tard qu’ils pensaient que je ne savais pas ce que je faisais et ne savais pas au combien la route que je tentais d’emprunter était difficile … mais si je le savais et c’est peut-être encore pire. Merci à vous Dani et Caty …

Bref, lorsque je les ai eu quittés pour la première fois, je repris mon exploration du Parc National de Cabo de Gata, et m’engageais cette fois dans une descente abrupte et piègeuse vers la petite ville touristique de Sant José perchée entre la montagne et la mer, sans oublier de m’arrêter sur les magnifiques plages désertes que le chemin longe …
La saison est propice. Le village jouit d’un calme hivernal et de la douce chaleur de ses journées. Tout ici est un peu plus vert qu’ailleurs, c’est agréable, d’autant que le décor enjolive. Cela met du baume au coeur et je me décide à retourner raconter cela à mes amis néerlandais avec empressement. Nous partagerons une dernière soirée autour d’un repas d’adieu (ou pas) suivi d’une ultime nuit à la belle étoile dans ma palmeraie avant de reprendre la Route pour de bon.

Le Sud de l’Espagne, plus habitué aux étrangers m’avait-on dit, se trouve être plus accueillant. Le soleil aidant, l’atmosphère y est aussi plus détendue. Au Nord, il faut percer la solide carapace des gens avant de découvrir un coeur énorme, celui qui leur permet de garder la force de continuer de se battre pour leur indépendance après tant d’années …

Finalement, le Parc Naturel du Cabo de Gata a tenu toutes ses promesses, mais qu’en aurait-il été sans toutes ces rencontres ?

 

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