L’aventure du Chemin de Compostelle au Portugal
Je quitte Porto en me retrouvant sur le Chemin de Compostelle sans l’avoir réellement cherché. Depuis mon accident de voiture et ma rencontre avec Marie et Jorge, deux pèlerins amoureux de leur chemin, j’avais souvent imaginé suivre cet itinéraire mythique. J’en ai été beaucoup dévié au fil de mes découvertes sur la Route cette année, qui m’ont mené dans des directions totalement opposées. Mais maintenant j’y suis. Je ne pensais pas le retrouver ici, et je suis désormais bien décidé à le suivre jusque Saint Jacques de Compostelle et sa Cathédrale que tous les pèlerins ont en tête durant les nombreux kilomètres qu’ils parcourent.
Je comprends rapidement qu’avoir ressoudé mon porte-bagages en ville de toute urgence est une chance inestimable. Dès la sortie de Porto, le chemin m’emmène pour mon plus grand plaisir dans les petits villages, mais les routes y sont pavées à 70%. Sur plus de 100 kilomètres, les secousses sont incessantes. La soudure résiste. C’est du bon travail. Sans cette réparation, j’aurais passé mon temps à m’inquiéter de ne pas augmenter les dégâts en prenant 1000 précautions. J’aurais subi la route avec un porte-bagages en deux parties subissant infernalement chaque pavé. La situation aurait été très périlleuse, le rythme lent et les kilomètres très longs.
Mais tout va bien. Je suis sur le Chemin de Compostelle, heureux de quitter la ville et son bruit. Je roule sur de petites routes sans circulation. Sans m’en rendre compte, je bifurque sur le Caminho Portugues da Costa, le long de la côte donc. Par conséquent, je retrouve le vent puissant, de face évidemment. Il est de plus en plus fort à mesure que le Chemin m’emmène presque sur la plage.
C’est un plaisir de naviguer sans carte, en suivant les flèches jaunes qui guident les pèlerins jusqu’à leur destination. Elles sont tantôt peintes sur le sol, les murs, les poteaux électriques …
Je me laisse porter en laissant dériver mon esprit tentant de m’imprégner de l’esprit du chemin.
Le Chemin de Compostelle est relativement bien indiqué même si à vélo, il faut rester vigilent car la vitesse peut vous faire rater une indication.
Je traverse régulièrement la forêt et ses pistes sableuses où je dois pousser le vélo et me retrouver ainsi comme tout autre pèlerin, marcheur. Perdre de la vitesse pour profiter de l’environnement offre son lot de satisfaction. Les pèlerins sur cet itinéraire secondaire sont rares. Je m’arrête discuter avec le peu d’entre eux que je dépasse. A vélo, je vais toujours plus vite qu’eux, et sans lenteur, le Chemin de Compostelle perd un peu de son sens. Pour moi, c’est un chemin parmi tant d’autres.
J’avance. Pour éviter les axes principaux, le Chemin de Compostelle grimpe à flanc de collines dans les anciens villages. Que de détours pour visiter une quantité indénombrable d’églises. Mais je me tiens au chemin, même s’il était pour moi plus facile de rester sur la route principale en bon état et plus directe.
Lorsque l’on entre en ville, il en est de même. Je dois souvent monter dans d’étroites ruelles très inclinées pour contempler la plus grande des églises installée au point culminant. A vélo, les pentes sont toujours trop raides dans les petites rues. Pour redescendre, le chemin emprunte de nombreux escaliers. Je dois sans cesse faire demi-tour pour les contourner et retrouver le Chemin un peu plus loin.
Heureusement, les gens qui vivent à proximité du Chemin de Compostelle savent exactement où il se trouve et me remettent dans la bonne direction. « Buen Camino » lancent-ils à chaque pèlerin qu’ils aperçoivent.
A mesure que j’avance sur cette partie portugaise du chemin, il se rapproche de la Nature. Le nord du Portugal est ridé. Perpendiculaire à la mer, les petites chaînes de montagnes se succèdent. Il faut les franchir une à une. A partir de Esposende, je commence à me rapprocher de la colline et à monter dans un village. A la sortie de celui-ci, je bifurque sur la droite en entrant dans un chemin de terre. Je suis heureux de savoir que je vais de nouveau rouler en forêt, et je prends une photo qui montre bien mon bonheur. Je ne savais pas encore que quelques centaines de mètres plus loin, j’allais commencer à vivre l’enfer.
A partir de ce moment, la piste monte progressivement. Elle se rétrécit aussi. Des pierres de plus en plus grosses apparaissent. Je ne me rends pas encore bien compte de la situation. Je franchis les pierres une à une. Le chemin se rétrécit encore. Bientôt, les pierres se transforment en rochers et prennent toute la largeur de la piste. Ça continue de monter. Les rochers sont de plus en plus rapprochés, de plus en plus gros aussi. Je commence à devoir porter le vélo par dessus eux, tentant de trouver le passage de roue le plus stable et le plus facile. Sur ma droite, je commence à apercevoir la rivière en contrebas. Le sentier ne fait plus que 30 centimètres de large, mes pieds sont en constant équilibre entre la pente abrupte et le peu de place que me laisse la piste pour avancer. Quelques rochers sont plus gros que les autres. Cela commence à devenir presque impossible de les franchir avec le poids du vélo qui a tout moment peut m’entraîner quelques mètres plus bas dans la rivière. J’ai déjà pratiquement consommé toute mon eau. Je commence à l’économiser. Je transpire à grosses gouttes. L’effort est intense. J’avance centimètre par centimètre en étant le plus attentif possible.
Cette fois, je me trouve face à un mur. Les marcheurs n’ont qu’un pas à faire pour le franchir. Deux énormes rochers me barrent la route. Ils se rejoignent en plein centre de la piste et c’est le seul endroit où je peux engager ma roue avant. Je la dépose au sommet des rochers au prix d’un effort important et marque une pause. Comment faire passer le reste du vélo ? J’entends quelques marcheurs qui me rattrapent. Je n’ai avancé que de quelques centaines de mètres. Je suis sur cette piste depuis un bon moment déjà. J’ai déjà parcouru beaucoup de kilomètres aujourd’hui et c’est un effort de trop pour cette fin d’après-midi. L’heure tourne. Je suis toujours planté au milieu de la piste, roue avant posée sur ces deux fameux rochers. Je reprends ma marche en avant. Je ne peux pas rester planté là. Dans un ultime effort, je réussis à faire franchir cet obstacle au vélo. La roue arrière est désormais posée sur le rocher, la roue avant plantée dans la terre un peu plus bas. Je souffle de nouveau. Il ne me reste plus qu’à redescendre. Je lâche doucement les freins pour voir comment se comporte le vélo, il descend tranquillement. J’ai quasiment franchi le sommet de ce chemin infernal.
Je commence à souffler et relâche ma concentration l’espace d’une seconde tout en terminant de faire descendre le vélo. Par gravité, son poids m’oblige à faire un petit pas de plus. Mon pied droit vient de franchir la limite et se pose dans la pente. Je glisse sur les feuilles et le poids du vélo me pousse. Par réflexe, je le repousse au mieux vers la piste en tentant de me stabiliser mais je suis déjà à plat ventre. Heureusement que la pente n’est pas trop raide. Je viens de me faire une belle frayeur. Un marcheur se précipite pour me rejoindre. Il est un peu tard … Il veut tenter de relever le vélo mais je crois bien qu’il a présumé de ses forces. Je me relève en moins de deux secondes, le vélo avec, aidé par l’énergie de l’adrénaline. Tout va bien.
Au vu de l’état de la piste, je me demande si c’est bien raisonnable de continuer dans cette direction. Je ne me vois pas retourner en arrière et franchir de nouveau tous les obstacles que je viens de passer.
Et puis, comment pourrais-je faire demi-tour avec le vélo sur cette piste de 30 centimètres de large ? Je discute un peu avec l’un des 4 Suédois. Il sort son GPS dernière technologie qui lui évite de se perdre sur le Chemin. Cela me fait sourire. Il m’indique que cette piste de montagne touche à sa fin (avant bien d’autres pensais-je). Nous allons commencer à redescendre me dit-il. Ses 3 amis, pressés d’arriver à leur auberge (albergue), ne prennent même pas le temps de s’arrêter.
Faire demi-tour signifie pour moi renoncer et ce n’est pas dans mon tempérament (même si parfois cette décision serait plus sage). Je décide d’aller de l’avant comme souvent, mais à l’unique condition que cet homme m’attende, ne sachant pas si la piste va empirer ou s’améliorer. Il est d’accord.
Nous commençons à redescendre ensemble à un rythme plus soutenu. Les rochers, de moins en moins gros, deviennent de plus en plus facilement franchissable. La piste descend. Ça aide. Freins bloqués au maximum, piste un peu plus large, cela devient plus négociable. Je continue malgré tout de prendre beaucoup de précautions. J’avance lentement. Trop lentement au goût du marcheur qui, après 50 mètres, cesse de se retourner dans ma direction et file rejoindre ses amis qui eux non plus ne l’ont pas attendu. Bravo la solidarité … il paraît que nous vivons dans l’Union Européenne !!!
Je souffle. Le vélo est appuyé contre un mur de pierres surplombant un chemin qui mène à la rivière un peu plus bas. D’autres pèlerins me rattrapent et me dépassent sans se préoccuper de ma présence. Ils n’oublient pas en revanche de sortir leur téléphone portable au passage pour prendre une photo du vélo en une fraction de seconde sans s’arrêter de marcher.
Me voilà de nouveau seul, fatigué de cet effort intense sans savoir ce qui m’attend ensuite. Je n’ai quasiment plus d’eau. Face à moi, une jolie petite cascade. Les marcheurs n’ont à peine prêté attention à cet environnement idyllique … Ont-ils un train à prendre ?
C’est décidé, j’installe mon campement ici pour la nuit face à la chute d’eau. Ce sera ma récompense. Je puise l’eau de la rivière pour cuisiner et me déshydrater en la faisant bouillir sur un feu de bois pour la purifier. Ce soir, la Nature m’aura plus aidé que les Hommes !!! Je pêche sans succès …
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