Dans ma fuite vers le Portugal, je me suis arrêté à Cordoba. Une fois de plus, je n’ai pas trouvé d’hôte à travers le réseau WarmShower. Je pensais donc y passer la journée et quitter la ville avant la nuit. J’apprends rapidement que l’on peut visiter la Mezquita de Cordoba, unique au Monde, gratuitement tous les matins entre 8h30 et 9h20. Je ne peux pas râter cette occasion de découvrir cette édifice splendide. Alors je pars en quête d’un endroit discret pour rester en ville cette nuit.
Je suis désormais capable de dormir dans les villages, mais à Cordoba la tâche est plus compliquée. La ville de Cordoba est de taille moyenne et paraît relativement sécuritaire. Le Rio Guadalquivir permet aux arbres de se développer et c’est là que je trouverai un site parfait pour me cacher. Je serai très très proche du petit centre historique classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco, mais les touristes ne s’aventurent pas dans les coins sombres.
Je ne le savais pas encore mais j’allais passer 3 jours à Cordoba sans le moindre hébergement. De mieux en mieux …
Je suis arrivé tôt en ville le premier jour et cela m’a laissé un peu de temps pour déambuler et ressentir l’atmosphère. Les touristes sont très très nombreux, et pour moi, c’est parfois difficilement supportable. J’en suis un aujourd’hui mais avec un vélo énorme et donc moins discret dans la masse. Le centre historique est somptueux et autour, Cordoba reste une ville comme une autre avec ses grandes avenues et ses quartiers populaires en périphérie.
Il y a beaucoup de choses à voir, gratuitement également, sur la petite superficie du centre historique. On peut visiter les délicieux patios, entrer dans quelques musées ou tout simplement se balader et admirer l’architecture à dominante islamique.
Je tente une première incursion avec mon vélo dans le jardin des orangers de la Mezquita où on peut se balader librement. Rapidement, l’architecture de La Mezquita se fait oublier, et les nombreux touristes, débarqués par bus entiers, se tournent simultanément dans ma direction et pointent instantanément leur appareil photo ou téléphone sur moi. J’ai l’impression d’être un singe qui fait une grimace dans un zoo … sauf que je n’attends pas de cacahuètes en retour …
Je n’ai jamais été récalcitrant à ce qu’on me prenne en photo de temps en temps, je commence à en avoir l’habitude, mais en si grand nombre et de cette manière cela me gène un peu. Après tout je suis comme tout le monde, et moi aussi j’ai le droit de visiter les villes et les sites remplis d’Histoire en toute tranquillité.
Ce qui me dérange le plus, c’est que dans cette situation, il n’y a aucun échange. Personne ne vient me parler et je ne serai qu’une photo de plus parmi les milliers d’autres dans l’album de vacances. Beaucoup d’entre eux n’auront jamais vu Cordoba de leurs propres yeux mais uniquement à travers l’objectif de leur appareil. Oh une fleur de Cordoba, Oh un banc de Cordoba avec ma femme assis dessus: Sourit chérie voyons c’est les vacances …
Il y a ceux qui voient la ville avec leur appareil
et d’autres qui la découvrent avec leurs émotions …
Je ressors très vite du jardin de la Mezquita dans lequel, à cause de l’attitude des touristes, je me sens oppressé.
Je croise un homme sympathique qui m’aborde plus simplement. On discute et après les quelques questions habituelles, je lui raconte l’expérience que je viens de vivre … il me répond:
« Tu n’as qu’à te laisser prendre en photo et ensuite tendre la main pour gagner un peu d’argent … ».
Cela ne suffit pas à me convaincre sur l’instant, car il n’y aura toujours ce manque d’échange, même si je dois avouer que c’est une solution facile pour m’offrir de quoi manger. Avec mon budget de 1€/jour, je pourrais facilement gagner en une journée de quoi me nourrir pendant un mois …
Au fil de la journée, j’observe les différentes attitudes des gens vis à vis de moi. La majorité d’entre eux souhaitent uniquement faire des photos (plus souvent du vélo que de moi d’ailleurs). Seul le vélo atypique et la curiosité les intéressent sans réelle motivation de discuter, d’apprendre, d’échanger … mais comme je suis toujours très proche de mon vélo, j’apparais toujours dans l’objectif.
Les comportements sont multiples suivant les questions qui se bousculent dans leur tête (ou pas) en me voyant.
Certains sans aucune gêne se postent devant moi, pointent leur objectif et prennent leur photo. Ce sont ceux là qui me dérangent le plus. Je comprends très bien que c’est le vélo atypique qui les attirent, mais que diraient-il si je faisais la même chose en m’approchant aussi près d’eux et en prenant une photo … situation un peu étrange non ?
D’autres sont plus malins, ils s’éloignent et utilisent leur zoom ou encore tentent d’être discrets en détournant le regard en même temps qu’ils prennent la photo.
Pensez-vous sérieusement que je ne vous vois pas ? Me croyez-vous aussi stupide que cela ?
Heureusement, certains, poliment, me demandent s’ils peuvent prendre une photo du vélo.
Pour finir, il y a ceux que je préfère et qui ne viennent que pour discuter. La photo est optionnelle à leurs yeux.
Au fil de la journée, l’idée de vendre mon image me trotte dans la tête … après tout ce n’est pas si stupide: si les gens apprécient ce mode de vie pourquoi ne pas le supporter en m’offrant un peu d’argent ou encore tout simplement de quoi manger ? Je n’ai pas choisi cette vie pour être riche, me nourrir et discuter me suffit amplement.
Toutefois, je bloque sur la manière d’expliquer à ceux qui voudraient faire une photo qu’elle n’est pas gratuite … je n’ai pas choisi cette vie en comptant sur les autres pour qu’ils me la paient.
Pour les touristes sans gêne, je n’ai aucun complexe, mais je n’aurai pas l’occasion de me retrouver de nouveau dans cette situation ces quelques jours durants.
J’entends un couple de Français discuter, je les dépasse et directement, l’homme sors son appareil photo. Je l’interpelle instantanément en lui disant que je ne souhaite pas que l’on prenne de photo. L’expérience du matin était de trop et je suis un peu récalcitrant aux photos aujourd’hui.
Je tente alors de voir leur réaction en leur disant que la photo n’est pas gratuite et je leur en explique les raisons. En français pour commencer c’est plus facile.
J’avance que m’offrir quelque chose en retour est une manière de supporter ce mode de vie qui démontre que l’automobile et les avions ne sont pas l’unique alternative aux déplacements. Cet homme aime le vélo et comprend la démarche. Il cherche alentour pour m’inviter à prendre un café et discuter en échange de la photo déjà prise. Pas de bar dans les parages, alors sa femme m’offre l’euro symbolique. Nous marchons ensemble un moment en discutant.
Si je n’étais pas intervenu, il aurait pris sa photo et je m’en serais allé sans échange.
Ça fonctionne, j’ai mon premier euro en poche et nous avons discuté un bon moment.
Ils reprennent le cours de leur balade, s’éloignent, et soudain l’homme revient vers moi et me glisse un billet de 10€ dans la main: « Avec ton budget de 1€/jour, tu penseras à nous pendant 10 jours » me dit-il !!!
Incroyable, il semblerait que je puisse vivre de l’image que mon mode de vie et de déplacement véhicule, qui démontre que la liberté et le bonheur peuvent être trouvés, sans richesse monétaire. Une vie très riche d’expériences et d’humanité, tout en prenant soin de notre Terre en se déplaçant le plus écologiquement possible …
Sans même tendre la main pour faire la manche, sans action volontaire de ma part, en laissant les gens intéressés venir à moi, le vélo, qui représente déjà une partie de moi, l’outil me permettant d’accéder à la liberté, peut devenir aussi mon outil de travail, mon gagne-pain …
Je continue ma visite de Cordoba, déambulant parfois le vélo à mes côtés, ou me reposant quand il fait trop chaud. Les expériences photos continuent.
Je mange tranquillement dans l’herbe et deux femmes russes s’installent sur un banc face à moi. Elles tentent de prendre une photo discrètement. « Je vous vois » leur dis-je … et je pars discuter avec elles pendant un bon moment. Je retourne finir mon repas et écrire dans mon carnet de voyage. Soudain, elles se lèvent, s’approchent du vélo et déposent 5€ sur le sol … « pour la photo » me lancent-elles. Et nous reprenons notre discussion en prenant quelques clichés souvenirs tous ensemble.
Plus tard, deux amis Espagnols sont témoins de la scène d’une nouvelle vente de photo. Lorsque je me rassois, adossé au mur extérieur de la Mezquita, ils m’invitent à les rejoindre et commandent bières et tortillas que nous dégusterons ensemble tout en discutant un long moment.
Le soir, alors que la chaleur s’efface doucement, je m’installe dans un courant d’air près du pont romain. J’écris tranquillement dans mon carnet de voyage. Un trio composé d’une Française travaillant en Irak, un Turc et une Grecque m’abordent pour discuter. Cet échange prendra une tournure inhabituelle. Leurs questions sont totalement différentes, les sujets abordés aussi. Quelques euros me sont de nouveau offerts, ainsi que quelques souvenirs plus personnels.
Je les retrouve le lendemain matin pour visiter la Mezquita et participer à la messe très intimiste dans le somptueux coeur de la cathédrale au son de l’orgue gigantesque. Nous passerons toute la journée ensemble, et mon vélo sera naturellement gardé pendant ce temps au bar nommé « La Bicicleta ».
Mais la réaction des gens n’est pas toujours si positive. Si cette situation débouche régulièrement sur un beau moment de partage, ou tout simplement une longue dicussion, l’argent reste le nerf de la guerre et en parler à tendance à faire fuir certains. Cela me permet de faire rapidement le tri entre les bonnes et les mauvaises personnes. Il s’agit plus de faire comprendre que je souhaite avoir un échange et non uniquement une photo volée, plutôt que de chercher à m’enrichir à tout prix. Pour cela, j’aurais mieux fait de choisir une autre vie …
Il y aura toujours quelques personnes qui tenteront absolument tout pour éviter de payer. Je les comprends, dans ce Monde et surtout en ville, rien n’est gratuit et les zones touristiques font flamber les prix.
Je tente d’expliquer à l’un d’eux que le choix lui appartient. J’ai passé 3 jours à Cordoba sans dépenser d’argent autre que dans un supermarché pour me nourrir. Pendant ce temps, j’ai vécu des expériences enrichissantes avec des inconnus et en réalisant des visites touristiques aussi. On a toujours le choix. Pour la photo, il peut tout aussi bien décider de l’effacer …
Mais cela ne se passe pas vraiment ainsi, et j’en ferai l’expérience plusieurs fois durant ces quelques jours. Il tente de détourner de nombreuses fois la conversatiion ne sachant que répondre à mes arguments et invente des excuses pour fuir. Quand enfin il est à cours d’idées, il s’en va tout simplement en me laissant seul au milieu de la rue, content, avec sa photo, et l’impression jouissive de m’avoir vaincu. Il y en aura toujours qui se pensent plus malins, qui ne suivent jamais les règles, sans prêter attention à la volonté des autres : j’appelle cela du manque de respect.
La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres …
Malgré tout ceci, au jour d’aujourd’hui, malgré le poids parfois infernal de mon compagnon de Route, pour rien au monde je ne changerais ma manière de voyager en me procurant un vélo de voyage plus standard, plus discret, le même que tous les voyageurs à vélo de ce Monde. Ce vélo étrange et surchargé, c’est ce qui me permet d’entrer facilement au contact de la population et de vivre des expériences humaines riches en émotions en partageant nos visions du Monde …
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