Bastien Delesalle
Bastien Delesalle

Frontière Belarus

« Il est dangereux de sortir de chez soi, on prend la Route …
et on ne sait pas où cela peut nous mener. »
(Bilbon, Le Seigneur des Anneaux)

Quand j’ai commencé à pédaler en 2013 pour offrir à mon corps détruit un nouvel élan, je ne connaissais rien au vélo et je n’aurais jamais imaginer accomplir un tour d’Europe qui dure depuis bientôt 7 ans ni que j’allais visiter 49 pays en pédalant plus de 55.000 km et réaliser l’équivalent de 50 fois l’ascension de l’Everest. Les médecins qui m’avaient sauvé la vie un an plus tôt n’auraient jamais parié là dessus d’ailleurs. Et pourtant …

J’ai trouvé un vélo dans la poubelle et sans préparation je suis parti.

 

« Il y avait toujours un nouveau pays au coin de la rue. » (Heinz Stucke)

 

Mes premiers tours de roue m’emmenèrent d’emblée à travers 5 pays sur 4500 kilomètres. Après un an et demi de galère, je pédalais gaiement sans douleur. Elles s’évanouissaient au fil des kilomètres, et même si mon corps, toujours fébrile, m’inquiétait encore un peu, je reprenais lentement confiance en lui et en moi. De la Belgique à l’Allemagne en passant par le Danemark, j’arrivais en Pologne sans avoir vu ni les kilomètres ni les mois passer. Grâce au vélo, je redécouvrais ce que voulait dire vivre.

J’avais depuis longtemps perdu espoir en l’Humanité à cause de la compétition qui fait rage dans le monde du travail et de l’individualisme grandissant dans la société occidentale. Puis la canicule, une profonde déshydratation et un nouveau passage à l’hôpital me stoppèrent net à la frontière polonaise. Je restais cloué au lit chez une famille qui pris soin de moi comme de leur propre fils pendant 10 jours. La générosité, la gentillesse, la tendresse même, dont ils firent preuve à mon égard étaient incroyable. Sur la Route, je percevais ce genre de témoignage d’Amour un peu partout et cela me procurait l’espoir dont j’avais tant besoin. Grâce au vélo, je redécouvrais ce que voulait dire humanité.

Famille Biosacki

Par hasard (ou pas) à ce moment là, je découvrais Heinz Stücke et sa vie passée à vélo sur les routes du Monde. J’y avais souvent pensé et je croyais cela impossible, mais apprendre que quelqu’un l’avait déjà fait changea tout. Les choses s’emballaient dans ma tête. J’avais découvert en quelques mois trop de bonnes raisons de continuer de pédaler pour m’arrêter. Grâce au vélo, je redécouvrais ce que voulais dire voyager.

Nomade, une vie sans répit.

Le mode d’emploi du parfait nomade ne m’avait pas été livré, et au départ, j’étais submergé par les émotions, les choses à faire, … Le nomadisme permet de se recentrer sur l’essentiel, mais les tâches quotidiennes, pourtant simples, prennent un temps considérable : organiser ses affaires, s’orienter, parler aux gens, faire les courses, trouver de l’eau, un lieu sûr où dormir, installer le camp, entretenir le vélo, cuisiner, manger, dormir. Les journées passent vite. Le temps libre vient avec l’expérience. La fatigue fait partie du quotidien. Malgré la difficulté, je me sentais bien. Après plusieurs années difficiles, paradoxalement, voyager à vélo m’apportait de la stabilité et un immense plaisir dans l’instant présent.

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Voyageur « old school », sans ordinateur ni téléphone à l’époque, je préfère la pratique sur le terrain. En deux ans, je pédalerais peu, environ 10.000 km, mais j’allais apprendre beaucoup, dédiant les années 2014 et 2015 à acquérir les bases du nomadisme. J’errais entre la France, le Portugal et surtout l’Espagne, que j’avais estimé être un bon pays test avec ses climats variés, des sommets enneigés aux plateaux arides, et ses montagnes omniprésentes. Avant de m’engager dans un Tour du Monde, je voulais mettre mon corps à l’épreuve. Au fil des milliers de kilomètres, je retrouvais lentement les 17 kilos de muscles perdus après l’accident australien. C’était rassurant. J’étais sorti d’affaire. Je revenais de loin.

La solitude, le prix de la liberté.

Pourtant, mon premier vrai hiver sur le vélo me donna plus de difficultés sur le plan moral que physique. Les matinées étant froides, je pédalais surtout l’après-midi, aux heures où les espagnols font leur traditionnelle sieste. Ils n’étaient pas encore réveillés que le tôt coucher de soleil hivernal m’obligeait à planter la tente. Pendant plusieurs mois, j’irais jusqu’à croire que ce pays était désert. Parler à quelqu’un était la seule chose que je souhaitais. La solitude me faisait vraiment souffrir pour la première fois de ma vie. J’ai depuis appris à l’apprécier, à la rechercher même parfois. La solitude m’aura enseigné à m’aimer moi, me permettant ensuite d’aimer les autres mieux.

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A être souvent seul, je réfléchissais beaucoup. C’est à ce moment que le projet NO MAD’S LAND que j’avais en tête depuis plusieurs années pris naissance. L’aventure commença sous forme de blog, on me le réclamait souvent. Je m’étais réfugié dans un petit village andalou, vivant dans une maison abandonnée (et soit disant hantée) pendant 3 mois, pour travailler à la fabrication de mon site tous les jours à la bibliothèque. Avant cela, je n’utilisais pas internet du tout moi-même et je croyais alors avoir découvert une manière de « sauver le Monde ». Je retombais vite les pieds sur Terre en découvrant la compétition qui fait rage sur la toile. Très peu pour moi. Un an plus tard, j’abandonnais le blog, et le Monde dépérit toujours. Continuant d’apprendre et de développer NO MAD’S LAND malgré tout, mon projet commencera à prendre forme après 5 ans de travail constant.

Ce n’est qu’en 2016 que j’ai réellement commencé à sentir en moi la fibre du nomade. Il m’aura fallu 5 ans. J’accélérais les choses et pédalais 10.000 km cette année là du Nord de l’Europe à la Scandinavie jusqu’à l’entrée des Balkans. Mais j’étais encore loin d’imaginer ce que j’allais dessiner. Je commençais à être capable d’affronter les pires météos, d’emprunter les routes les plus difficiles, j’accumulais de l’expérience tout simplement. J’avais aussi amélioré mon équipement en investissant dans une tente 4 saisons et mon vélo s’allégeait après avoir commis l’erreur de me surcharger. En fait, avec les années de Route, au fil des besoins et des problèmes rencontrés, je multipliais les connaissances et les compétences qui me permettaient d’être de plus en plus autonome et résilient.

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La Scandinavie m’avait fait apprendre beaucoup. Je m’étais élancé à l’assaut du Cap Nord, et alors que j’étais en Suède, je n’avais pas pu résister à l’appel de la Norvège et ses fjords dont on m’avait tant vanté la beauté. Splendide, c’était indéniable. Pluvieux aussi. Une pluie lourde, incessante, 17 jours, 17 nuits, non-stop, n’avait pas eu raison de mon moral, mais mon énergie était au plus bas. J’étais épuisé et les pentes raides à longueur de journées finissaient de m’achever. En empruntant la Rallarvegen, une piste très rude de 85 km de long, pierreuse, piégeuse, fermée à la circulation des véhicules à moteur, je vivais sans doute l’une des expérience les plus mémorable de ce grand Tour d’Europe, celle qui aura marqué le tournant de l’envie d’encore plus. En arrivant au sommet de la piste, dans la neige en plein mois de juillet, je réaliserai sans l’avoir prémédité l’ascension d’un des 3 glaciers face auxquels j’avais dormi pendant 5 jours. Puis, à court de vivre, je redescendrai dans la vallée, non sans peur, puisque j’avais découvert que la jante de ma roue arrière était fendue en 12 points. Cet incident m’obligea à rester bloqué pendant 3 semaines dans une petite ville à la recherche d’une nouvelle roue que je ne trouverais jamais, et ce temps « perdu » à renoncer à mon envie de rejoindre le Cap Nord car l’hiver approchait à grand pas. Mais ce n’était pas un échec, au contraire, j’avais découvert tout ce dont j’étais capable et cela m’avait sorti grandi. Tenace, je me promettais de rententer l’aventure Cap Nord l’année d’après.

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Mon meilleur ami me détourna du Cap Nord une seconde fois en 2017 en m’emmenant vers la Turquie et ses +60°C au soleil. Cela tranchait avec les -18°C de nuit que nous avions rencontré dans les Balkans où il m’avait rejoins pour pédaler. Plutôt minimaliste, ancien randonneur en sac à dos, il initiera mon allègement conséquent, alors que je le « formerai » à la fabrication de matériel de voyage à partir des déchets de la société trouvés dans la rue. Je commençais à devenir expert en la matière. Mon vélo avait perdu 22 kilos en 3 ans.

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Le grand froid que j’avais découvert dans les Balkans occupe tout l’esprit, et le retour de l’été me reconnecta avec mes envies. Depuis la Turquie je ressentais un étrange sentiment d’inachevé. Ressortant ma carte d’Europe, je constatais que j’en avais déjà visité la moitié sans vraiment m’en rendre compte. Eureka. Je savais ce qu’il me restait à faire : visiter tous les pays d’Europe. Je quittais alors mon ami grâce à qui j’aurais pédalé 13.000 km en 2017, faisais demi-tour et traversais l’Europe de l’est jusqu’à entrer en Biélorussie, l’unique pays européen nécessitant un visa pour un français. J’étais heureux d’avoir partager 6 mois de Route avec mon meilleur ami, décuplant la saveur des kilomètres, des paysages, des rencontres et des galères, mais seul, la Liberté est totale, et j’étais content de me retrouver de nouveau à vivre sans compromis.

Je n’allais pourtant pas rester longtemps seul. Au printemps suivant, la saison des amours, de nouveau en route pour le Cap Nord, je rencontrai une femme en Lettonie. Comme dans un conte de fées, en 3 jours, elle avait rendu les clés de son appartement pour pédaler à mes côtés, sans vraiment savoir ce qui l’attendais et pas vraiment prête à affronter les interminables forêts scandinaves que j’aimais tant. Je la guidais grâce à mon expérience. Ensemble, nous atteindrons enfin le Cap Nord que je convoitais depuis si longtemps. Pourtant, à la minute où nous l’attendrons, notre unique désir était de fuir, tant le vent d’une extrème violence nous fouettait et nous plaquais au sol comme de vulgaires quilles de bowling. Nous avions peur mais nous étions soudés. Après 4 mois en Scandinavie, nous retraversions l’Europe du Nord au Sud pour fuir l’hiver qui approchait de nouveau à grand pas. Nous pédalions gaiement en Italie alors que 2018 touchait doucement à sa fin. Partager le quotidien du voyage avec un ami est fantastique. Vivre sur la Route avec la femme que l’on aime, c’est l’extase, la cerise sur le gâteau de la Liberté et du Bonheur que procure déjà cette vie de nomade à vélo. Quand elle prit la décision de rentrer dans son pays et de me laisser poursuivre mon aventure seul, tous les repères que j’avais mis en place autour d’elle s’écroulèrent et c’est comme ci je ne savais plus voyager, incapable de décider où aller.

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Lorsque l’on ne sait pas où l’on va, on est jamais perdu.

Mon projet de visiter tous les pays d’Europe était presque accompli mais au point mort. Je doutais de tout. Mais comme seule la Route pouvait panser mes plaies, je me remis en selle pour partir explorer les îles européennes, seuls pays manquant à mon interminable boucle. Malte me réservait de belles frayeurs dans une traversée en ferry épique sur une mer déchaînée dont j’avais bien cru qu’elle serait la dernière de vie. De retour en Sicile, le volcan Etna se mit en éruption 4 jours après que j’en eu réalisé l’ascension souffrant et dans la neige. Faible et le coeur brisé, je trouvais du travail dans une auberge de jeunesse ayant besoin de chaleur humaine en attendant de trouver l’énergie mentale et physique de reprendre la Route. Je dû me forcer pour la première fois. Mais dès les premiers coups de pédales, toute la souffrance que j’accumulais depuis des mois s’évaporait pour ne laisser doucement plus place qu’au plaisir du vent, même froid, sur mon visage.

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2019 fut une année pleine de rebondissement où je n’aurais roulé « que » 8000 km. Je traversai l’Albanie, mon pays européen préféré, et le Nord de la Grèce en jouant au chat et à la souris avec les flocons. Les routes se refermaient une à une derrière moi à cause des fortes chutes de neige jusqu’à ce que je finisse par rester inévitablement bloqué. Encerclé par les montagnes, il me faudra une semaine pour trouver un véhicule capable de m’emmener avec le vélo sur l’autoroute, l’unique axe ouvert à la circulation. J’étais en train de fuir vers Chypre pour trouver chaleur et soleil. En revenant pédaler en Grèce un peu plus tard, le premier col de montagne que je franchissais m’était fatal. L’hernie inguinale que je traînais depuis 6 mois m’empêchait soudainement de pédaler. En arrivant à l’hôpital, la sentence fut immédiate : chirurgie d’urgence en Grèce et rapatriement en France où je subissais une nouvelle opération. Dans la précipitation, j’avais été obligé d’abandonner mon vélo sur place. Mon tour d’Europe qui touchait pourtant presque à sa fin s’arrêta net. Il ne faut jamais crier victoire trop vite. Après 5 mois de convalescence, je n’avais qu’une envie : reprendre la Route. C’est ce que je faisais avec un nouveau vélo sorti de la poubelle qui me vaudra bien des misères pour partir explorer le Royaume-Uni et l’Irlande avant de retourner en Grèce pour reprendre mon tour là où je l’avais laissé.

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J’entrais dans l’année 2020 un peu revanchard et plein enthousiasme car j’étais à la fois heureux d’avoir retrouvé mon vrai vélo de voyage et impatient de dérouler le programme alléchant que je m’étais concocté. J’avais prévu une ultime traversée de l’Europe du Sud au Nord pour conclure ce grand tour d’Europe en apothéose. Après un tour de Grèce plein de rebondissements où j’avais rencontré des réfugiés de guerre, j’entamais une remontée éclair de l’Italie qui m’avais permis de passer par le Vatican, une principauté comptant dans mon objectif de « visiter tous les pays d’Europe », tout comme Monaco que je visitais lors que je posais mes roues sur le sol français, ce qui ne m’était plus arrivé depuis longtemps. Je me dirigeais tranquillement vers l’Andorre avec un itinéraire en tête bien défini pour la suite. Je devais effectuer une diagonale de France direction le Danemark d’où j’embarquerais dans l’unique ferry européen qui mènait vers l’Islande, mon ultime pays à découvrir sur le vieux continent. La cerise sur le gâteau que je m’offrirais sera un arrêt sur les îles Féroé pendant quelques jours afin de tenter de comprendre comment vit-on sur une île aussi petite et isolée au XXIème siècle, le tout continuant le challenge que je me suis fixé depuis quelques années désormais : « Ne jamais payer pour dormir !!! » Alléchant non ?

Le plan est de ne pas en avoir mais les idées ne manquent pas.

Oui mais !!! Parce qu’il y a toujours un mais, le Corona virus est arrivé et a ébranlé la planète. Comme tout le monde, j’ai été obligé de me confiner me ramenant à l’essence de la vie nomade, une nécessité constante de s’adapter. Une fois les frontières européennes de nouveau ouvertes, j’ai repris la route en me ruant à la conquête de l’Andorre puis j’ai espéré atteindre l’Islande, l’ultime pays d’Europe qui me résistait. Les conditions d’entrée dû au Covid demandées par ce pays ne me convenaient pas et j’ai alors décidé d’abandonner l’idée de m’y rendre, profitant de la fin d’année 2020 pour partir à la redécouverte de mon pays natal, la France et continuer d’écrire, toujours sur la Route !!! Avec la crise sanitaire internationale, mon mode de vie était totalement remis en cause

 

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Je découvrais de nouvelles sensations, émerveillement, contemplation, plaisir, la joie, le bonheur, la chaleur humaine, le partage, la sincérité, l’échange, la confiance, la patience, … Je redevenais maître de mon corps, de mon temps, de mes choix, de ma vie en somme. Avec le temps, j’apprenais à déchiffrer les cartes, mais surtout les codes de la société et les tréfonds du comportement humain, les codes de la société, et à me frayer un chemin à travers elle pour arriver à mes fins. Il faut bien plus de temps pour comprendre les gens. J’ai appris à ne plus avoir peur de l’être humain mais à continuer de m’en méfier. Ce tour d’Europe aura fait de moi un autre homme, un homme meilleur je crois.